La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) permet aux salariés concernés de bénéficier d’aménagements de poste adaptés à leur situation. Pourtant, certains collaborateurs en situation de handicap n’en font pas la demande, que ce soit par méconnaissance du dispositif ou crainte d’être stigmatisé, tandis que les employeurs ne savent pas toujours comment les accompagner. Kevin Failly, chargé de recrutement chez ifocop et lui-même titulaire d’une RQTH, revient sur son parcours et livre ses conseils aux employeurs pour accompagner efficacement ces collaborateurs.
La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) est « une décision administrative qui accorde aux personnes en situation de handicap une qualité leur permettant de bénéficier d’aides spécifiques »¹. Cette reconnaissance s’inscrit dans un cadre légal qui impose également des obligations aux employeurs, encadré par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel². Toutes les entreprises d’au minimum 20 salariés doivent ainsi respecter l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH), et employer au moins 6 % de travailleurs en situation de handicap au sein de leur effectif.
En cas de non-respect de cette obligation, les entreprises doivent verser une contribution financière auprès de l’Ursaff, destinée à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). Elles peuvent cependant s’acquitter de l’OETH en signant un accord de branche stipulant la mise en oeuvre d’un programme en faveur de l’emploi de personnes en situation de handicap³.
Le décalage entre le cadre légal et la réalité
Le parcours de Kevin Failly illustre les obstacles que rencontrent encore aujourd’hui les travailleurs en situation de handicap. Après avoir commencé sa carrière en tant que boulanger-pâtissier, Kevin Failly a bifurqué vers le secteur du commerce. Suite à des problèmes de santé au niveau du dos, il décide d’entamer une démarche de RQTH en 2021, encouragé par la médecine du travail. « Au début, je n’étais vraiment pas pour, j’avais du mal à me reconnaître dans ce statut. Dans l’inconscient collectif, on pense que la RQTH concerne uniquement des handicaps visibles et moteurs », confie-t-il.
Malgré cette reconnaissance officielle, il est resté affecté à des postes de manutention avec port de charges lourdes, pourtant devenus incompatibles avec sa santé. Une situation qui l’a poussé à se reconvertir dans les ressources humaines, avec une mission claire : faire évoluer les mentalités au sujet du handicap en entreprise.
Dans son poste actuel, sa RQTH a été immédiatement prise en compte : « J’ai la chance d’avoir une direction qui est extrêmement accessible et à l’écoute et qui m’a demandé si j’avais besoin d’une adaptation de mon poste de travail. C’est un confort de savoir qu’on a une équipe qui nous soutient, nous comprend et ne nous stigmatise pas. »
Comprendre les freins à la demande de RQTH
Afin d’accompagner efficacement les salariés, l’entreprise doit tout d’abord comprendre ce qui retient certains collaborateurs d’engager une démarche de RQTH. Kevin Failly identifie trois freins principaux.
- Un chemin d’acceptation parfois long
« Il faut avoir conscience de son handicap et l’accepter. Quelqu’un qui vient de subir un accident ne sera pas forcément prêt à entamer immédiatement les démarches. Il faut que la personne soit prête », souligne-t-il. Pour les employeurs, cela implique de respecter le rythme de chaque collaborateur, sans précipiter ni forcer une démarche qui reste avant tout personnelle.
- La crainte d’être stigmatisé
Certains collaborateurs peuvent avoir peur d’être stigmatisés ou mis de côté par l’entreprise, de ne plus être perçu comme avant, ce qui peut les contraindre à dissimuler leurs difficultés.
- Le manque d’information
D’autres ignorent tout simplement qu’ils pourraient bénéficier d’une RQTH, notamment pour les handicaps invisibles, comme les troubles dys (dysphasie, dyscalculie, dyslexie, dysorthographie, dysgraphie, dyspraxie) ou certaines pathologies chroniques.
Face à ce constat, Kevin Failly cherche à rassurer les salariés qui hésitent : « Cette RQTH, ce n’est pas une fatalité, c’est une protection. Sans elle, impossible de prétendre à des aménagements de poste. »
Employeurs : les obligations et bonnes pratiques à mettre en place
La mise en place d’aménagements pour les salariés reconnus travailleurs handicapés constitue une obligation légale qui est encore trop souvent négligée. Au-delà du respect strict de ces obligations, plusieurs leviers permettent de construire une véritable politique d’inclusion.
Repenser ses pratiques de recrutement
L’inclusion doit se traduire dès la phase de recrutement, avec la mention dans les offres d’emploi de l’ouverture du poste aux personnes en situation de handicap, qui est une obligation légale. Pour aller plus loin dans leur démarche, les entreprises peuvent utiliser des plateformes de recrutement spécialisées. L’enjeu est de regarder d’abord les compétences, puis d’identifier les éventuels aménagements nécessaires, plutôt que de partir du principe d’une incompatibilité systématique.
Donner toute sa place au référent handicap
« C’est une obligation, mais ce n’est pas forcément mis en place efficacement », observe Kevin Failly. « Il faut nommer un véritable référent handicap, lui donner de vraies missions et lui permettre d’animer ce sujet sur l’inclusion. » Ce référent doit être accessible, formé et disposer du temps nécessaire pour accompagner les salariés concernés. Il ne s’agit pas d’une simple case à cocher sur l’organigramme, mais d’une fonction qui nécessite des moyens et une légitimité au sein de l’organisation.
Former et sensibiliser l’ensemble des collaborateurs
Les formations doivent être pensées en amont et se dérouler tout au long de l’année, en incluant tous les niveaux hiérarchiques, particulièrement les managers. « Un salarié reflète son manager. Si celui-ci ne respecte pas le cadre, le salarié non plus », souligne Kevin Failly.
Concrètement, il s’agit de sensibiliser les équipes aux différentes formes de handicap, d’expliquer comment accompagner un collaborateur en situation de handicap, ou encore de former les managers à détecter les signaux de difficultés.
Adopter une communication ouverte et bienveillante
L’entreprise doit également créer un climat de confiance, dans lequel les salariés peuvent évoquer leurs difficultés sans crainte. « Il ne faut pas avoir peur du mot handicap », insiste Kevin Failly. Communiquer régulièrement sur le sujet, rappeler l’existence d’un référent, partager des témoignages sont autant d’actions qui contribuent à lever les tabous. Chaque collaborateur, quel que soit son niveau hiérarchique, doit pouvoir aborder sereinement sa situation sans craindre d’être jugé ou mis à l’écart.
Mobiliser des ressources externes
Les entreprises ne sont pas seules face à ces enjeux. Plusieurs organismes spécialisés peuvent les accompagner dans la mise en place d’une politique d’inclusion : l’Agefiph, Cap emploi ou encore les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Ces structures proposent des conseils personnalisés, peuvent intervenir pour animer des ateliers de sensibilisation ou d’information, et aident à identifier les aménagements adaptés à chaque situation.
Lever les tabous autour du handicap, c’est offrir aux salariés concernés la protection dont ils ont besoin pour s’épanouir professionnellement. Un enjeu qui concerne toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité. Pour Kévin Failly, il n’y a aucun doute sur l’objectif principal de sa mission : « Il est important de remettre l’humain au cœur de l’accompagnement RH ».
1 « La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) », travail-emploi.gouv.fr, 10/07/2025.
2 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
3 « Emploi des travailleurs handicapés : quelles sont vos obligations ? », economie.gouv.fr, 16/06/2025.
RQTH : du cadre légal à l’inclusion réelle des travailleurs en situation de handicap
9 décembre 2025