Mémoire défaillante, difficulté à se concentrer… Et si ces signes traduisaient un handicap invisible au travail ? Encore largement méconnus, les troubles cognitifs sont peu visibles, mais impactent profondément le quotidien des personnes concernées. Complexes à repérer, ils ne sont pas toujours pris en charge en entreprise, alors qu’ils nécessitent un accompagnement personnalisé.
En Europe, les troubles cognitifs toucheraient 10 à 20 % des salariés selon la Fédération Française des Dys. Les troubles cognitifs, également appelés troubles du neurodéveloppement « sont caractérisés par des dysfonctionnements d’une ou plusieurs zones du cerveau […] impliquant la sociabilisation, la communication, le geste, l’attention, le raisonnement, la mémoire ou encore les apprentissages », précise le Gouvernement. Ils regroupent ainsi :
- les troubles dys, des troubles du neurodéveloppement qui affectent des fonctions telles que le langage, la lecture, l’écriture ou encore la coordination (dysphasie, dyscalculie, dyslexie, dysorthographie, dysgraphie, dyspraxie) ;
- les troubles du spectre de l’autisme :
- le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Peu visibles au premier abord, ces troubles échappent souvent aux RH, que ce soit lors du processus de recrutement ou bien après l’intégration. Ils entraînent pourtant des difficultés réelles : lenteur dans la lecture ou l’écriture, difficulté à se repérer dans l’espace ou dans le temps, désorganisation, difficulté à prendre en main les outils numériques, fatigue… En outre, lorsqu’elles sont décelées, ces difficultés peuvent être confondues avec un manque d’implication ou de compétences, ce qui accroît la souffrance des personnes concernées.
Le saviez-vous ?
Un environnement professionnel trop normé
Notre environnement de travail est extrêmement standardisé et repose sur des attentes implicites d’efficacité, de rapidité et de conformité à des normes sociales. Autant de critères qui ne prennent pas en compte la diversité cognitive des collaborateurs.
Les outils numériques omniprésents (mails, applications métiers), les réunions à rallonge, les consignes changeantes ou imprécises, les espaces communs bruyants peuvent générer une surcharge mentale chez les personnes concernées. Et pourtant, les employeurs sont rarement formés à ces situations. Les logiciels, les process et même la communication interne sont souvent pensés pour des cerveaux neurotypiques (dont le fonctionnement est considéré comme étant dans la norme) laissant peu de place à l’adaptation ou à l’individualisation.
Le défi du repérage : entre tabou et méconnaissance
Ce qui freine l’accompagnement des collaborateurs en situation de handicap invisible est principalement le manque de diagnostic et de reconnaissance. Certains collaborateurs n’ont pas conscience d’être concernés, d’autres n’ont pas connaissance des aménagements possibles de leur poste et de leurs conditions de travail, et d’autres encore ne se déclarent pas par peur d’être jugés.
De plus, les professionnels, RH et managers ne sont pas toujours formés au repérage et à l’accompagnement des troubles cognitifs. Ils peinent à identifier les signaux faibles et ne sont pas outillés pour y répondre.
Enfin, la reconnaissance administrative (comme la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) reste faible pour les troubles cognitifs, car le parcours de diagnostic est long, coûteux, et mal connu. Résultat : ces handicaps restent invisibles… même lorsqu’ils sont connus.
Vers une culture de reconnaissance des handicaps invisibles
Reconnaître les troubles cognitifs comme un enjeu RH à part entière est une étape clé pour l’inclusion. Cela suppose un changement de regard, mais aussi des actions concrètes à tous les niveaux de l’organisation.
- Sensibiliser l’ensemble des équipes
Former les équipes RH, les managers ainsi que les collaborateurs aux troubles cognitifs (et, plus largement, au handicap invisible) permet de mieux comprendre les difficultés des personnes concernées, d’éviter les malentendus et de créer une culture d’entreprise plus inclusive et bienveillante.
- Instaurer un climat de confiance
Il est important de favoriser un environnement dans lequel chacun peut exprimer ses difficultés sans crainte d’être stigmatisé ou pénalisé. Cela peut passer par des dispositifs d’écoute accessibles ou des entretiens individualisés réguliers.
- Adapter les outils et les environnements
Les entreprises peuvent mettre en place des aménagements concrets : logiciels avec options d’accessibilité, consignes claires et structurées, espaces de travail calmes, réduction des sources de distraction… Ces ajustements facilitent l’autonomie et le confort des collaborateurs concernés.
- Proposer des aménagements personnalisés
À l’instar de tout handicap reconnu, les troubles cognitifs peuvent justifier des ajustements personnalisés du poste ou des missions. Cela peut prendre la forme de temps de pause adaptés, d’un accompagnement renforcé, ou encore d’un appui via un collègue référent.
- S’appuyer sur les dispositifs existants
Les services de santé au travail ou les référents handicap peuvent être sollicités pour analyser les besoins du collaborateur concerné. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé permet également d’accéder à des aménagements spécifiques et à des aides via des structures comme l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).
Prendre en compte les troubles cognitifs, c’est aller au-delà des normes implicites de performance pour valoriser d’autres formes d’intelligence et de contribution. C’est inscrire l’entreprise dans une démarche de responsabilité sociale plus inclusive et plus humaine. Une stratégie gagnante pour renforcer l’engagement, prévenir les risques psychosociaux, tout en fidélisant les talents.
Le mot du pro
Dr Alain Pouhet, docteur en médecine, spécialisé dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap.
Comment peut-on définir les troubles DYS ?
Aujourd’hui les troubles dys- font partie des troubles du neurodéveloppement : une entité bien définie dans les classifications internationales. Celle-ci désigne une altération significative dans le développement de certaines fonctions qui se mettent habituellement en place spontanément (comme le langage, la gestuelle), ou d’acquisitions scolaires comme le langage écrit ou le calcul. Ces troubles apparaissent dès le développement de l’enfant et ne peuvent pas être mieux expliqués par une autre pathologie médicale ou psychiatrique.
Ils interfèrent considérablement dans le quotidien du sujet, que ce soit sur le plan scolaire ou professionnel, ou même pour certains troubles dans les activités sportives et les loisirs.
D’origine neurologique, ils s’expliquent par une prédisposition génétique qui entraine un développement cérébral inhabituel, avec des conséquences négatives pour les fonctions cognitives.
Comment apparaissent-ils, et est-ce qu’ils se poursuivent à l’âge adulte ?
Ces troubles sont souvent détectés par les parents, les professionnels de l’Éducation nationale ou encore les professionnels de l’évaluation et du soin (psychologues, orthophonistes) qui attestent alors d’une anomalie de développement. Cet écart qui se creuse, d’abord considéré comme un retard, amène à la mise en place d’aides qui montrent rapidement leurs limites. En effet, en dépit de certains progrès, les performances des enfants dans les domaines concernés restent nettement inférieures à celles attendues pour leur âge, chez des enfants ayant bénéficié d’un apprentissage ordinaire. Ces limitations des activités cognitives entraînent des restrictions de participation qui peuvent persister à l’âge adulte, selon les domaines et les situations. On peut citer par exemple des difficultés devenues minimes en langue française chez une personne présentant une dyslexie, qui redeviennent majeures si son activité professionnelle l’oblige à lire et produire des écrits en anglais.
Est-ce que l’employeur peut proposer un accompagnement spécifique dans l’entreprise pour compenser ces handicaps ?
Oui, les employeurs jouent un rôle essentiel : ils peuvent agir concrètement pour réduire les difficultés persistantes liées aux troubles dys- en entreprise.
La première chose à faire est de se former, d’avoir un minimum d’informations concernant la réalité de ces troubles, et plus largement des troubles du neurodéveloppement.
Dans un deuxième temps, il convient de former l’ensemble du personnel à la connaissance de ces troubles afin d’améliorer l’intégration au sein de l’entreprise de ceux qui en sont porteurs.
Enfin pour un certain nombre de situations, en particulier les troubles résiduels du langage écrit, il est possible de compenser le problème. Il existe aujourd’hui des logiciels de dictée vocale qui permettent aux dyslexiques de retranscrire leur pensée directement à l’écrit sur un ordinateur ou une tablette.