Les addictions en entreprise : un enjeu de santé et de prévention
D’après l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), 64 % des professionnels des services de santé au travail estiment que la consommation d’alcool et de cannabis est répandue dans le cadre professionnel¹. Alcool, tabac, drogues… les comportements addictifs ont des conséquences sur la santé, du consommateur et de son entourage, mais ils peuvent également provoquer des accidents. Il est donc du devoir de l’employeur de prévenir ces risques et de proposer un accompagnement adapté.
1.« Enquête sur les pratiques addictives », INRS, 2021.
Comprendre les addictions
Selon le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des familles, une addiction « se caractérise par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement et la poursuite de ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives »². Il existe deux types d’addictions : les addictions liées à la prise de produits, comme le tabac, l’alcool, les médicaments ou les drogues, ainsi que les dépendances non relatives à des produits. Parmi ces addictions dites « comportementales » : les jeux d’argent ou de hasard, les jeux vidéo, la dépendance au travail, aux réseaux sociaux… Les addictions liées à la prise de substances sont celles qui posent le plus de problèmes en entreprise, car elles mettent en danger, non seulement le collaborateur concerné, mais également ses collègues ou toute autre personne avec qui il serait en contact, comme des clients.
2.« Addictions », sante.gouv.fr, 13/08/2024.
Quand le travail devient un facteur aggravant
Les addictions peuvent être renforcées par l’environnement professionnel lui-même. L’alcool est en effet une substance ponctuellement consommée en milieu professionnel, lors des moments de convivialité : pots, déjeuners d’affaires, afterworks. Pour les personnes touchées par ces addictions, y avoir accès constitue un risque supplémentaire. En outre, selon l’INRS, la prise de substances aurait parfois pour objectif de permettre de « tenir », face à certaines situations au travail, comme le stress, l’exposition au froid ou à la chaleur, le travail en horaires atypiques, le port de charges lourdes³… Ces deux facteurs, directement liés au travail, peuvent entraîner un collaborateur dans une spirale addictive ou la renforcer.
3. Philippe Hache, « Pratiques addictives en milieu de travail, comprendre et prévenir », janvier 2023.
Un enjeu de sécurité
La prise de substances, telles que les médicaments, l’alcool ou la drogue, modifie les aptitudes du consommateur : diminution de la vigilance et des réflexes, troubles de la vision, de la mémoire ou de l’attention, inclinaison pour la prise de risque… ce qui peut donc être à l’origine d’accidents du travail.
Ces comportements addictifs ont également des conséquences importantes sur la santé du collaborateur, s’accompagnant de troubles psychologiques comme l’anxiété, la dépression ou l’irritabilité, voire de maladies physiques. Des changements qui peuvent détériorer les relations et générer des tensions au sein des équipes.
Les addictions ont donc de lourdes conséquences sur la santé, mais elles représentent également un lourd coût économique : difficultés de concentration, fatigue chronique, absentéisme, diminution de la productivité sont autant de facteurs qui altèrent la qualité du travail fourni et donc la productivité du collaborateur.
Encadrer et accompagner : les obligations de l’employeur
L’employeur est soumis à une obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des salariés, inscrite dans le Code du travail. Cette responsabilité implique la mise en place de mesures de prévention des risques professionnels, y compris ceux liés aux addictions. Le règlement intérieur de l’entreprise doit ainsi préciser les règles relatives à la consommation de substances sur le lieu de travail : interdiction de substances illicites, encadrement strict de la consommation d’alcool, etc.
Face à un salarié présentant une addiction, l’employeur a l’obligation d’agir pour protéger sa santé et celle de ses collègues. S’il n’intervient pas, sa responsabilité juridique peut être engagée, particulièrement en cas d’accident du travail. Un salarié en état d’ébriété, par exemple, doit être retiré de son poste de travail. Des solutions de transports sécurisées doivent lui être proposées, un suivi mis en place.
Mettre en place une politique de prévention efficace
La prévention des addictions passe par la formation des managers, qui doivent ainsi savoir reconnaître les signes précurseurs d’une addiction, comme des changements de comportement, une baisse de performance, des absences répétées, un repli sur soi… L’addiction peut également s’accompagner de changements physiques, tels qu’une négligence de l’apparence, des troubles de l’élocution ou de l’équilibre.
En parallèle, des actions de sensibilisation peuvent être menées auprès de l’ensemble des salariés. Ces campagnes peuvent prendre diverses formes, comme l’affichage préventif dans les locaux ou l’organisation de conférences avec des spécialistes du sujet. L’objectif est de briser les tabous et d’encourager le dialogue. Des programmes d’accompagnement peuvent également être mis en place, afin de proposer un soutien psychologique aux personnes concernées, via l’accès à des permanences de psychologues, par exemple, ou des lignes d’écoutes spécialisées. Ces dispositifs permettent aux salariés de parler librement de leurs difficultés et d’être ensuite orientés vers des structures de soin adaptées.
L’intégration des addictions dans la politique de qualité de vie et des conditions de travail permet également d’adopter une approche globale du bien-être des collaborateurs : en identifiant et traitant les facteurs de risques (stress, surcharge de travail, conflits, etc.), l’entreprise agit en amont sur les causes potentielles des comportements addictifs. La promotion d’un environnement de travail sain passe également par l’aménagement d’espaces favorisant le bien-être, comme des salles de détentes ou encore des installations sportives. Ces espaces sont d’excellents moyens de réduire le stress, de créer du lien social tout en offrant une alternative saine aux comportements addictifs.
L’accompagnement sur le long terme : dispositifs internes et relais spécialisés
Lorsqu’une addiction est détectée, l’approche doit être empreinte de bienveillance, et de discrétion. Un entretien confidentiel peut ainsi être organisé, sans jugement ou accusation, afin d’ouvrir le dialogue et créer un climat de confiance, où le collaborateur peut s’exprimer sans jugement. La médecine du travail joue un rôle central : le médecin du travail, tenu au secret médical, peut évaluer la situation et orienter le salarié vers des structures de soins adaptées.
Du côté de l’employeur, plusieurs leviers d’action peuvent être envisagés. L’aménagement du temps de travail peut être une première réponse, afin de permettre au collaborateur de suivre ses soins, tout en lui permettant de continuer son activité professionnelle. L’accompagnement doit s’inscrire dans la durée, avec un suivi régulier afin d’adapter les mesures à l’évolution de la situation.
La gestion des addictions en entreprise est donc un défi majeur. Une politique de prévention efficace, alliée à des dispositifs d’accompagnement personnalisés, permet de protéger à la fois la santé des salariés et la performance de l’entreprise.
Le mot du pro
Jennifer KIEFFER, avocate en Droit du travail
Quelles différences peut-on faire entre une addiction à des substances psychoactives tels que l’alcool, le cannabis ou encore la cocaïne, et l’addiction à des médicaments psychotropes, sur le lieu de travail ?
Bien que ces deux types d’addiction soient différentes, la réponse juridique qui doit être apportée par l’employeur dans de tels cas de figure, sera similaire. En effet, La réponse juridique se fera en deux étapes :
- Une première étape consistant en la prévention du risque lié aux addictions ;
- Une deuxième étape consistant en la sanction, avec des mesures disciplinaires pouvant mener jusqu’au licenciement pour faute grave.
L’employeur est-il assujetti à des obligations préventives en la matière, avant de prendre d’éventuelles sanctions disciplinaires à l’égard du salarié concerné ?
Au titre de son obligation de sécurité, visée aux articles L 4121-1 et suivants du Code du travail, l’employeur doit prévenir toute atteinte à la santé et à la sécurité de ses travailleurs. Dès lors, et avant toute sanction, l’employeur doit mettre en œuvre des mesures pour éviter la survenue d’incidents liés à des addictions.
Cette prévention est indispensable, et elle passe notamment par :
- Des actions de formation à destination des salariés, de leur encadrement ;
- L’élaboration d’un règlement intérieur ou note(s) de service rappelant régulièrement les règles en matière de consommation d’alcool / drogue ;
- Un Document Unique d’Évaluation des Risques professionnels complet, intégrant le risque lié aux addictions.
- La mise en place de mesures visant à lutter contre les risques psychosociaux, pouvant être à l’origine d’addictions.
L’employeur est-il seul à gérer cette situation ?
L’élaboration de la démarche de prévention doit se faire dans un esprit de concertation, d’accompagnement et de soutien. Il s’agit d’une démarche collective et non individuelle. Pour ce faire, l’employeur doit s’entourer de différents acteurs.
En premier lieu, l’acteur principal, sera le service de santé au travail, avec le médecin du travail. À ce titre, rappelons que seul le médecin du travail peut déclarer inapte un salarié à son poste de travail ou à tout poste dans l’entreprise et préconiser des éventuels aménagements de postes, y compris du fait de la prise de traitement médicamenteux abaissant fortement la vigilance.
En second lieu, les encadrants et supérieurs hiérarchiques des salariés concernés ont également leur rôle à jouer en la matière. Ils doivent notamment être à même de faire remonter les difficultés rencontrées, et alerter en temps réel l’employeur.
Enfin, les représentants du personnel ainsi que les services sociaux pourront également collaborer avec l’employeur pour accompagner les salariés concernés par d’éventuelles addictions.
Quelle responsabilité pénale pour l’employeur qui s’abstiendrait de prendre des mesures de sécurité à l’égard d’un salarié souffrant d’addiction ?
Face à un salarié qui parait en état d’ébriété ou sous l’emprise de drogue et dès lors que le salarié en danger n’est plus en mesure d’assurer son travail dans de bonnes conditions, l’employeur est dans le devoir d’agir. Le cas échéant, la responsabilité de l’employeur peut être engagée, y compris sur le fondement du Code pénal, même en cas d’infraction n’ayant donné lieu à aucun accident.
L’employeur pourra notamment être pénalement responsable du dommage causé par un salarié, soit par négligence lorsque, bien qu’informé ou conscient du risque, il n’a pas agi pour éviter un comportement dangereux ou y mettre fin. En effet, que nous soyons face à un salarié addict pour lequel l’employeur ne prend aucune mesure, ou face à un salarié exposé à des conditions de travail dangereuses (ex : amiante), la responsabilité pénale de l’employeur pourra être recherchée (Cass. Crim. 19/04/2017, n°16-80.695).
En application de l’article 223-1 du Code pénal, l’employeur pourra être poursuivi même en l’absence de dommage dès lors qu’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité a exposé un salarié « à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entrainer une mutilation ou une infirmité permanente ».
Nos rendez-vous
Webinaire : « Addictions : comment gérer en RH ? » avec Jennifer KIEFFER du cabinet LM avocats, cabinet spécialisé en Droit du travail.
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4 février 2025