En entreprise, une réorganisation peut soulever des résistances chez certains collaborateurs. Stress, peur de perdre son poste, surcharge mentale, absence de sens… Ces réactions sont naturelles et doivent impérativement être anticipées afin que la transition se passe au mieux pour tous. Hélène Delmas, consultante en accompagnement au changement chez Collecteam, partage des pistes concrètes pour dépasser ces résistances et accompagner au mieux les collaborateurs.
Changement d’outils, fusion, réorganisation des services… Face à un changement en entreprise, les réactions des collaborateurs sont rarement uniformes. Certains accueillent la nouvelle avec enthousiasme, d’autres avec scepticisme, d’autres encore avec une franche résistance. Des réactions variées, propres au caractère et à la situation de chacun. « Le changement génère naturellement des résistances car il implique de quitter le connu pour l’inconnu. Le cerveau humain privilégie la routine et les repères établis », précise Hélène Delmas.
Une transformation qui n’aurait a priori aucune conséquence négative sur les collaborateurs peut ainsi être source, malgré tout, de stress. Quitter sa zone de confort signifie abandonner des repères rassurants, des habitudes, pour s’aventurer vers l’incertain. « Les collaborateurs passent d’une zone de maîtrise où ils sont experts, à une position d’apprenants, ce qui génère de l’anxiété », ajoute l’experte.
Les principales peurs identifiées
Plusieurs craintes reviennent régulièrement lors d’un changement en entreprise.
- La perte de repères, qui constitue souvent la première source d’inquiétude. Les collaborateurs se demandent comment leur quotidien va être bouleversé, quels seront leurs nouveaux interlocuteurs, leurs nouvelles missions.
- La perte de contrôle : l’impression d’être spectateur plutôt qu’acteur de sa propre situation professionnelle peut être particulièrement déstabilisante.
- L’incertitude sur son rôle futur : les collaborateurs s’interrogent sur la valeur de leurs compétences actuelles, sur leur légitimité dans cette nouvelle organisation.
- La crainte de ne pas être à la hauteur face aux nouvelles modalités de travail, qui peut toucher même les collaborateurs les plus expérimentés.
Mieux comprendre les réactions face au changement
Les collaborateurs traversent souvent différentes phases émotionnelles face au changement : déni, colère, peur, tristesse, avant d’accepter et de s’engager pleinement dans cette nouvelle organisation. « Les émotions sont normales et inhérentes à l’humain », rappelle Hélène Delmas, qui cite l’origine latine du mot émotion, « emovere », qui signifie « se mettre en mouvement ». Loin d’être un frein, les émotions sont donc le signe que le processus de changement est en marche.
Chaque étape nécessite une approche spécifique de la part de l’entreprise. Certains collaborateurs sont en colère face au changement annoncé ? Des ateliers peuvent être mis en place, durant lesquels ils pourront s’exprimer, formuler leurs frustrations et aussi éclairer l’entreprise sur des préoccupations opérationnelles peut-être insuffisamment considérées, avant qu’elles ne deviennent de véritables points de blocage.
Pour rassurer les collaborateurs, l’entreprise a également tout intérêt à partager des repères concrets : « Il est essentiel de distinguer clairement ce qui change de ce qui ne change pas », précise Hélène Delmas. Cela permet d’aider à relativiser l’ampleur du changement et de maintenir des points d’ancrage rassurants.
Les conditions d’un accompagnement réussi
La réussite d’un accompagnement au changement repose sur plusieurs facteurs clés.
- Trouver le bon moment pour annoncer le changement
La question du timing est cruciale. Annoncer trop tôt, alors que les contours du projet ne sont pas encore définis, génère une anxiété diffuse et des spéculations. Annoncer trop tard laisse le champ libre aux rumeurs, souvent plus anxiogènes que la réalité. Une fois le bon moment identifié, il est préférable d’annoncer l’ensemble du changement en une fois. Cette transparence évite les mauvaises surprises successives, qui épuisent la confiance des collaborateurs et rendent chaque nouvelle annonce plus difficile à accepter.
- Expliquer le sens du changement
« Il est essentiel d’expliquer systématiquement la raison de ce changement, l’objectif recherché. Cela donne du sens et facilite l’acceptation », explique l’experte. Sans cette clarification, les collaborateurs peinent à comprendre la finalité de la transformation et peuvent y voir une décision arbitraire.
- Maintenir une communication régulière
Une erreur fréquente consiste à communiquer une seule fois, lors de l’annonce initiale, puis à laisser les collaborateurs sans nouvelles durant plusieurs semaines. « Il est important de partager les avancées et d’être honnête, sans enjoliver la situation », souligne Hélène Delmas. Cette communication régulière permet de maintenir l’engagement et de célébrer les premières victoires, aussi modestes soient-elles.
- Prévoir un accompagnement individualisé
Pour les personnes qui en ressentent le besoin, des moments d’échange individuels peuvent être envisagés. Prendre du temps pour répondre aux questions spécifiques permet de traiter les situations particulières et de rassurer sur des points précis.
Le rôle clé des managers dans l’accompagnement
Les managers occupent une position charnière durant tout le processus de changement. Ils doivent à la fois gérer leur propre transition et accompagner celle de leurs équipes, traduisant la stratégie de manière concrète pour leurs équipes, tout en assurant un soutien émotionnel face aux inquiétudes exprimées.
Pour remplir ce rôle efficacement, ils doivent comprendre avec précision le sens du changement, afin de pouvoir l’expliquer à leurs équipes. Des outils de communication et des ateliers de gestion des émotions peuvent les aider à adopter les bons réflexes en cas de résistances. Par ailleurs, des ateliers de co-développement peuvent également être des leviers précieux, en créant des espaces de soutien entre pairs, durant lesquels chacun peut partager ses difficultés et ses réussites, apprendre des expériences des autres, et se sentir moins isolé face aux défis de cet accompagnement au changement.
Les résistances au changement ne sont pas des obstacles à contourner, mais des signaux à écouter. En prenant le temps de comprendre les craintes exprimées, en expliquant clairement la finalité du changement et en accompagnant chaque collaborateur à son rythme, les organisations peuvent créer les conditions d’une transformation durable. Si elles manquent de temps ou de moyens, ces dernières peuvent faire appel à des professionnels spécialisés sur le sujet. « Le temps consacré à l’accompagnement au changement est fondamental pour la réussite de la transformation. De nombreux changements échouent faute de considération des aspects culturels et émotionnels », conclut l’experte.
Le mot du pro
Nicolas Sklarik, chargé de mission qualité à Coallia CADA Bretagne.
Comment expliquer le paradoxe entre défiance face au changement et nécessité de s’adapter ?
Le changement est une nécessité vitale : Darwin l’a montré pour les espèces, dont nous, Sapiens sapiens. Les organisations doivent elles aussi s’adapter pour survivre aux pressions sociétales, économiques et politiques. Par exemple, dans le secteur médicosocial, les réformes réglementaires, les évaluations HAS ou les attentes des usagers imposent des adaptations constantes. Mais dans l’industrie aussi, la fonction publique également… Pourtant, la plupart des professionnels expriment une défiance face au changement. Ce paradoxe s’explique par la tension entre besoin de sécurité et nécessité d’adaptation. Les individus recherchent des repères stables, une reconnaissance de leur identité professionnelle. Le changement introduit de l’incertitude, une peur du jugement, une tristesse liée à la perte de pratiques, voire de la colère face aux injonctions. Véronique Nguyen, enseignante à HEC, aide à dépasser ce paradoxe : le Yang structure et sécurise (planification, objectifs, communication), tandis que le Yin écoute, accompagne, valorise les récits informels et introduit le changement par petits pas.
Existe-t-il des « méthodes » de conduite du changement ?
Il n’existe pas une méthode unique mais une pluralité d’approches, complémentaires selon le contexte et la maturité des équipes. Par exemple, les méthodes de pilotage du changement, celles d’influence du changement etc.
Ainsi, Kotter propose huit étapes : créer un sentiment d’urgence, former une coalition directrice, développer une vision et une stratégie du changement, communiquer la vision du changement, donner aux collaborateurs les moyens d’agir, générer des victoires à court terme, consolider les gains, et poursuivre le changement.
Véronique Nguyen, insiste sur le non-agir, les petits pas, la position basse et le respect du timing. La Communication Non Violente et le pitch émotionnel permettent d’accueillir les émotions et de relier raison et sens.
Est-ce que la conduite du changement peut augmenter la criticité des RPS dans le DUER ?
Le Code du travail (R-4121-2) impose la mise à jour du DUER lors de tout aménagement important modifiant les conditions de travail. Une conduite du changement entre pleinement dans ce cadre car elle augmente la criticité des RPS : incertitude, surcharge, perte de repères, intensification des exigences émotionnelles. Les phases de transition sont particulièrement sensibles. Mais elle peut aussi réduire la criticité si elle est accompagnée avec l’équilibre Yin/Yang. Le Yin apporte écoute, espaces de parole, reconnaissance des émotions, écriture comme dépôt mental. Le Yang fournit le plan de communication, les quick wins, l’intégration des écrits dans les réunions. La pratique de l’écriture professionnelle devient un outil de régulation cognitive et de coopération, transformant la contrainte en levier de QVCT.
Concrètement, la mise à jour du DUER doit intégrer l’évaluation des impacts RPS, et des actions de prévention : la co-construction de routines d’écrit, des espaces de régulation et des dispositifs d’appui… Le changement fait donc varier la criticité des RPS : il l’accroît s’il est imposé, il la réduit s’il est accompagné avec tact et conviction.