Vers une fin des parcours professionnels linéaires ?

15 juillet 2025

Faire toute sa carrière au même poste ou dans une même entreprise, accepter un métier qui correspond peu à ses aspirations pendant de nombreuses années… Ces modèles font-ils désormais partie du passé ? Depuis la crise sanitaire, les trajectoires professionnelles ne semblent plus aussi linéaires qu’avant, bousculées par des collaborateurs en quête de sens, d’équilibre et d’épanouissement. Un défi de taille pour les organisations, qui doivent repenser leur approche pour s’adapter à ces nouvelles attentes. Décryptage de ce phénomène et des moyens d’action à disposition des employeurs avec Cécile Mousset, directrice de la pédagogie chez ifocop, organisme spécialisé dans la reconversion.

 

À la question de la fin du modèle de carrière linéaire traditionnel, Cécile Mousset répond très clairement : « Ce modèle est clairement dépassé. On ne reste plus 20 ans dans la même entreprise ou le même métier. Aujourd’hui, les parcours sont faits de rebonds, d’expériences variées, de ruptures ». Une évolution qui peut s’expliquer par une transformation profonde des aspirations professionnelles, notamment depuis la pandémie de Covid-19, qui a amené certains collaborateurs à remettre en question la place du travail dans leur vie. « Beaucoup d’actifs cherchent aujourd’hui à concilier leur activité professionnelle avec leurs aspirations profondes : équilibre de vie, utilité sociale ou encore quête de sens, précise l’experte. On n’accepte plus aussi facilement de passer 40 heures par semaine dans un métier qui ne nous ressemble pas. »

Ce qui motive aujourd’hui

> L’équilibre vie pro / vie perso

> L’utilité sociale

> L’alignement avec ses valeurs personnelles

Dans certains secteurs comme le public ou l’associatif, ce décalage entre motivations et réalité est particulièrement marquant : surcharge de travail, lourdeurs administratives, moyens limités… Autant de facteurs qui créent un décalage entre les motivations des collaborateurs et leur réalité quotidienne. Ces derniers doivent ainsi parfois accepter des compromis, puisqu’il est difficile de trouver un environnement de travail qui répond entièrement à leurs attentes.

 

Des motivations différentes selon les générations

Les raisons qui poussent les professionnels à reconsidérer leur parcours varient selon les générations. « Les raisons sont multiples, mais on retrouve des constantes : la volonté de se réinventer, de se reconnecter à ses valeurs, de sortir d’un métier subi pour exercer enfin une activité choisie », précise Cécile Mousset. Elle poursuit : « Pour certains, c’est une quête de liberté ou de sens ; pour d’autres, c’est un besoin de stabilité ou de santé mentale. »

L’approche diffère notamment entre les générations. Pour les seniors, la reconversion est parfois la seule issue, la difficulté de retrouver un emploi dans leur secteur d’origine les poussant à envisager un nouveau métier. La reconversion peut également être une opportunité : une fois les enfants partis et les obligations financières allégées, il devient possible de se diriger vers un métier plus épanouissant, même si le salaire est moins élevé. Ces profils expérimentés peuvent être de véritables atouts pour les organisations, ayant développé de nombreuses compétences transférables.

En parallèle, les jeunes générations restent peu dans un environnement professionnel qui ne leur convient pas.

  • 36 % des jeunes actifs ont envisagé de changer d’orientation professionnelle entre 2020 et 2023 [1]
  • 24 % sont passés à l’action [2]

Une réalité qui illustre un changement de mentalité profond, comme le souligne Cécile Mousset : « Les plus jeunes n’ont plus du tout le même rapport au travail, ils refusent l’idée de subir pendant plusieurs années un métier qui ne les anime pas. Ils veulent se sentir utiles, impliqués, respectés — dans un environnement compatible avec leurs valeurs. »

 

Face aux nouvelles réalités, créer des environnements de travail plus flexibles

Dans ce contexte, les employeurs peuvent développer plusieurs leviers d’action. « Ils doivent tout d’abord écouter les aspirations des collaborateurs, faciliter leur orientation (via des CEP, des bilans de compétences…), co-construire des parcours de formation, et surtout, ne pas figer les postes, ajoute Cécile Mousset. Il faut de la mobilité, de la porosité, de la confiance, de la QVT et des valeurs comme la RSE pour mobiliser et fidéliser. »

Cette évolution des formes de travail ouvre également de nouvelles possibilités. « Le CDI n’est plus forcément le modèle de référence, précise-t-elle. Et nous voyons aussi des formats hybrides émerger : formation à distance, semaines de quatre jours, temps partiel choisi pour libérer du temps, pour se former… » L’avenir professionnel s’annonce ainsi plus flexible. « Les parcours professionnels de demain seront personnalisés et évolutifs, ajoute Cécile Mousset. Ils seront faits de cycles : formation, emploi, pause, réorientation, mobilité… Les lignes bougeront en permanence. Ce seront les compétences, les valeurs et les projets qui structureront le parcours, bien plus que les diplômes ou le statut. »

Pour accompagner ces transitions, les entreprises doivent transformer leur approche, afin de créer des environnements « apprenants », offrir aux collaborateurs la possibilité d’évoluer. Il s’agit de valoriser les compétences plus que le parcours, comme celles acquises en dehors du poste, longtemps laissées de côté. Par ailleurs, les profils aux parcours atypiques possèdent souvent des qualités recherchées, telles que l’envie d’apprendre et une forte capacité d’adaptation.

La reconversion professionnelle s’impose donc désormais comme une réalité incontournable. Pour les organisations, l’enjeu est de transformer ces évolutions en opportunités, en développant des politiques RH innovantes qui accompagnent et valorisent la diversité des parcours professionnels. Une démarche qui peut contribuer à la fois à l’épanouissement des collaborateurs ainsi qu’à la performance de l’entreprise.

[1] Enquête Génération menée par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq)

[2] « Enquête – Un jeune sur quatre souhaite changer de métier », travail-emploi.gouv.fr, 27/03/2025