Les garanties collectives de protection sociale complémentaire¹ peuvent être déterminées par différents types d’acte de droit du travail à savoir, soit :
- par des conventions ou accords collectifs,
- à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d’un projet d’accord proposé par le chef d’entreprise,
- par une décision unilatérale du chef d’entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé (ci-après « DUE »).
Ces actes de droit du travail peuvent être modifiés selon certaines modalités liées à la nature de l’acte. Ainsi, une DUE peut être modifiée par une autre, mais aussi par un accord collectif ou éventuellement un accord référendaire. En revanche, un accord collectif ne peut être modifié que par un autre accord collectif.
Ces actes de droit du travail peuvent aussi être dénoncés. Dans ce Jurinfos, nous étudierons les modalités de dénonciation des accords collectifs et des décisions unilatérales.
Les modalités de mise en œuvre et les incidences de cette dénonciation soulèvent des questions pour les entreprises et leurs services de ressources humaines, sur lesquelles il nous semble utile de faire un point.
Avant d’évoquer les règles relatives aux accords collectifs (Fiche n°2), nous vous proposons de revenir sur celles concernant les décisions unilatérales de l’employeur (Fiche n°1).
Fiche n°1 : Garanties collectives mises en place par décision unilatérale
Hypothèses de dénonciation
L’employeur peut décider unilatéralement de mettre fin à un régime de protection sociale complémentaire mis en place par DUE². Néanmoins, afin de rendre cette dénonciation opposable aux salariés concernés, l’employeur doit mettre en œuvre la procédure adéquate décrite ci-après.
Précisons que la modification de la situation juridique de l’entreprise, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, constitue une situation particulière :
- tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise³,
- les engagements unilatéraux en vigueur chez l’ancien employeur sont transférés automatiquement au jour de l’opération, au sein de l’entreprise d’accueil⁴.
Deux dispositifs de protection sociale complémentaire différents ayant le même objet (le régime « transféré » et celui « historique » de la société d’accueil) peuvent donc être maintenus jusqu’à :
- l’harmonisation des régimes, notamment par la dénonciation de la DUE « transférée » chez le nouvel employeur ou,
- le cas échéant, l’entrée en vigueur d’un accord collectif ayant le même objet⁵.
Précisons que dans cette situation, deux régimes de protection sociale complémentaire ayant le même objet, ne peuvent pas se cumuler, seul le plus favorable d’entre eux bénéficie aux salariés⁶. Pour éviter ces situations de concours, une harmonisation des garanties applicables doit donc être opérée.
Au plan du droit des charges sociales, la doctrine administrative opposable aux Urssaf retient que deux dispositifs différents peuvent être maintenus temporairement au sein de l’entreprise absorbante⁷. Les contributions de l’employeur versées au titre d’un régime institué par un engagement unilatéral transféré, continuent d’être exclues de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale. À défaut de dénonciation ou d’adoption d’un texte conventionnel ayant le même objet, le dispositif continue de s’appliquer aux seuls salariés de l’entreprise absorbée. À cet égard, l’engagement unilatéral transféré survit tant qu’il n’a pas été dénoncé. Or, la doctrine indique expressément que la coexistence entre deux dispositifs différents doit être temporaire. Une harmonisation des garanties applicables devrait donc, à ce titre également, être recherchée.
Procédure de dénonciation
Étape 1 : Information/consultation du CSE⁸
L’information doit être donnée en réunion du comité social et économique, après inscription à l’ordre du jour, et intervenir avant l’information individuelle des salariés⁹.
L’objectif est double : garantir l’opposabilité de la dénonciation aux salariés et prévenir tout délit d’entrave¹⁰.
Étape 2 : Information des salariés¹¹
Les salariés concernés sont informés individuellement de la dénonciation¹². Une preuve de sa réalisation doit être conservée par l’employeur.
Étape 3
Respect d’un délai de prévenance suffisant¹³ avant la dénonciation effective, à compter de l’information des salariés¹⁴.
Sous réserve que l’employeur ait respecté ces trois étapes, la dénonciation s’impose aux salariés, qui ne peuvent revendiquer le maintien de l’engagement unilatéral sur la base des conditions antérieures.
Fiche n°2 : Garanties collectives mises en place par accord collectif
Dénonciation et mise en cause
Un accord collectif d’entreprise à durée indéterminée peut faire l’objet d’une dénonciation par l’employeur. En l’absence de stipulation expresse, la durée du préavis qui doit précéder la dénonciation est de trois mois¹⁵. Une nouvelle négociation doit s’engager dans les trois mois suivant le début du préavis si une des parties intéressées le demande¹⁶. L’accord continue de produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du délai de préavis.
Les accords collectifs à durée déterminée peuvent quant à eux faire l’objet d’une dénonciation dans les conditions qu’ils définissent et, notamment, dans le respect de la durée du préavis devant précéder la dénonciation prévue¹⁷.
En cas de modification de la situation juridique de l’entreprise, l’accord collectif est mis en cause. L’article L. 2261-14 du Code du travail précise que cette mise en cause intervient « en raison notamment d’une fusion, d’une cession, d’une scission ou d’un changement d’activité ». Celle-ci est automatique et ne nécessite aucune initiative de la part du nouvel employeur. Dans ce cadre, l’accord collectif « continue de produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du délai de préavis [de 3 mois en l’absence de stipulation expresse], sauf clause prévoyant une durée supérieure ».
Au plan du droit des charges sociales, la doctrine administrative opposable aux Urssaf précise que les contributions de l’employeur versées au titre de ce dispositif continuent d’être exclues de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale jusqu’à l’entrée en vigueur du texte conventionnel qui lui est substitué. À défaut d’un tel texte, l’exclusion d’assiette est maintenue pendant un an à compter de l’expiration du délai de préavis prévu à l’article L. 2261-9 du Code du travail, sauf clause prévoyant une durée supérieure¹⁸.
Conséquence de la dénonciation et de la mise en cause
Sort de l’accord dénoncé ou mis en cause
- Ouverture d’une négociation à la demande d’une des parties intéressées.
- Période de survie de l’accord :
- soit jusqu’à la conclusion d’un accord de substitution,
- soit pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du délai de préavis (de 3 mois en l’absence de stipulation expresse), soit une durée totale en principe de 15 mois.
Absence d’accord de substitution à l’issue de la période de 15 mois
Garantie de rémunération
- Cette notion est visée aux articles L. 2261-13 (dénonciation) et L. 2261-14 (mise en cause) du Code du travail.
- Définition : « le montant annuel [de la garantie de rémunération], pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne peut être inférieur à la rémunération versée, en application de la convention ou de l’accord mis en cause, lors des douze derniers mois. Cette garantie de rémunération s’entend au sens de l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale, à l’exception de la première phrase du deuxième alinéa du même article L. 242-1 ».
- Lorsque la mise en cause concerne une convention ou un accord à durée déterminée, deux hypothèses doivent être distinguées selon que le terme de la convention ou de l’accord initialement prévu est :
- postérieur à la date de fin du délai de survie : les salariés ont droit à la garantie de rémunération uniquement jusqu’à la date du terme de l’accord initialement prévu.
- antérieur à la date de fin du délai de survie, les salariés ne bénéficient pas de la garantie de rémunération.
Mise en œuvre de la dénonciation
Débat
Se pose la question de savoir si des salariés pourraient valablement se fonder sur ce concept de garantie de rémunération pour revendiquer, en cas de mise en cause (et d’absence de conclusion d’un accord de substitution), le maintien de la participation patronale au financement du régime de protection sociale complémentaire qui disparaît ?
En théorie, il s’agirait de trancher la question de savoir si ce type de financement constitue une rémunération :
- « versée » au sens de la définition de la garantie de rémunération. Des salariés pourraient soutenir que le financement patronal est une forme de rémunération versée en contrepartie ou à l’occasion du travail de sorte qu’il a donc vocation à entrer dans l’assiette des cotisations définie par l’article L. 242-1. Cependant, les contributions des entreprises sont en principe versées directement à l’organisme assureur, de sorte qu’aucune rémunération n’a effectivement été versée aux salariés¹⁹.
- « au sens de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale ». En effet, et de manière très synthétique, cette garantie de rémunération « s’entend au sens de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale ». Il s’agit donc de l’ensemble des éléments de rémunération devant être pris en compte « pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale », ce qui écarterait les contributions patronales servant au financement des régimes de protection sociale complémentaire qui sont, sous réserve qu’elles en respectent les conditions, expressément exclues de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale.
À date, ce débat n’est pas tranché par la Cour de cassation.
En pratique, de sérieux arguments permettent de soutenir que la garantie de rémunération est, en tout état de cause, respectée dès lors qu’une contribution patronale finance un régime de protection sociale complémentaire ayant le même objet que celui dénoncé / mis en cause.
¹ Il peut s’agir de régimes de remboursement de frais de santé, de prévoyance « incapacité, invalidité, décès » et de retraite supplémentaire à cotisations définies (plan d’épargne retraite obligatoire).
² Rappelons toutefois que cette décision de l’employeur ne doit pas contrevenir à ses obligations règlementaires. En effet, l’employeur doit faire bénéficier ses salariés de certaines garanties, telles qu’une couverture santé complémentaire collective et obligatoire (article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale) ainsi que des garanties définies et rendues obligatoires par l’accord de branche dont il relève ou encore par un accord national interprofessionnel (par exemple l’obligation dite du « 1,50 tranche A »).
3 Article L. 1224-1 du Code du travail
4 Cass. soc., 16 septembre 2015, pourvoi n° 14-16.158
5 La Cour de cassation indique que « l’accord collectif qui a le même objet que l’usage ou qu’un engagement unilatéral antérieur a pour effet de le mettre en cause, peu important que celui-ci ait été ou non préalablement dénoncé » (Cass. soc., 1er octobre 2003, n°02-30.337).
6 Cass. soc., 13 juin 2019, n°17-31.711 /
7 Rubrique protection sociale complémentaire du Bulletin officiel de la Sécurité sociale (BOSS) § 1320.
8 Si le CSE n’existe pas, un PV de carence doit être établi.
9 Cass. soc., 5 janvier 2005, pourvoi n° 02-42.819
10 Le non-respect des règles de mise en place et de fonctionnement des institutions représentatives du personnel, de même que la méconnaissance des règles protégeant les représentants du personnel lors de la rupture ou du transfert de leur contrat de travail, est constitutif d’un délit, communément appelé délit d’entrave.
11 Cass. soc., 28 janvier 2015, pourvoi n° 13-24.242.
12 Cass. Soc., 13 février 1996, pourvoi n° 93-42.309
13 Cass. Soc., 4 décembre 2019, pourvois n° 18-20.763
14 Aucun texte ne fixe de durée minimale. Dès lors, le caractère suffisant du délai de prévenance relève de l’appréciation souveraine des juges du fond qui tiennent compte, notamment du nombre de bénéficiaires concernés, de l’importance, le cas échéant, des modifications opérées quant aux garanties ou encore du temps pendant lequel l’avantage a été accordé. En outre, il convient de vérifier si un délai de préavis a été prévu dans la décision unilatérale.
15 Article L. 2261-9 du Code du travail
16 Article L. 2261-10 du Code du travail
17 Article L. 2222-6 du Code du travail, tel que rappelé par la Cour de cassation dans une décision du 23 octobre 2024 (Cass. Soc., 23 octobre 2024, pourvoi n° 23-17.460).
18 Rubrique protection sociale complémentaire du Bulletin officiel de la Sécurité sociale (BOSS) § 1310.
Modalités de dénonciation pour les garanties collectives de protection sociale complémentaire mises en place par décision unilatérale ou accord collectif
2 juin 2025