La couverture obligatoire des salariés cadres en matière de prévoyance : l’obligation dite du « 1,50% en tranche A »

7 novembre 2025

Les organisations patronales et syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel ont conclu une convention collective nationale le 14 mars 1947 instituant un régime obligatoire, de retraite complémentaire géré par l’Agirc d’une part, et de prévoyance d’autre part, au bénéfice des cadres.

Ce régime de prévoyance obligatoire pour les cadres a perduré jusqu’au 1er janvier 2019, date de la fusion des régimes de retraite complémentaire obligatoires Agirc et Arrco. Les organisations patronales et syndicales ont alors, en parallèle, conclu un accord national interprofessionnel (ANI) le 17 novembre 2017 qui a repris, à l’identique, ce régime de prévoyance pour les cadres. Ce dernier prévoit, en synthèse, que :

« Les employeurs s’engagent à verser, pour tout bénéficiaire visé à l’article 2 [soit les 2.1. (les cadres) et les 2.2. (les assimilés cadres)] du présent accord, une cotisation à leur charge exclusive, égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixé pour les cotisations de sécurité sociale [PASS – 47 100 € en 2025 et 48 060 € en 2026].

Cette contribution doit être versée à une institution de prévoyance ou à un organisme d’assurance (…).

Elle est affectée par priorité à la couverture d’avantages en cas de décès. (…) Les employeurs qui, lors du décès d’un participant, ne justifient pas avoir souscrit un contrat comportant le versement de la cotisation (…) sont tenus de verser aux ayants droit du cadre (…) décédé une somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur lors du décès ».

Cette obligation conventionnelle s’impose à l’ensemble des employeurs du secteur privé. Dans ce Jurinfo, nous vous proposons de revenir sur les caractéristiques de ce régime de prévoyance en évoquant :

  • ses bénéficiaires,
  • le montant de la cotisation le finançant,
  • l’affectation de cette cotisation,
  • les sanctions en cas de manquement.
  1. Bénéficiaires

Cette obligation patronale bénéficie aux salariés visés aux articles 2.1. et 2.2. de l’ANI de 2017. Il s’agit respectivement, d’une part, des salariés cadres et, d’autre part, des ETAM (employés, techniciens et agents de maitrise) assimilés à des cadres eu égard à la classification de leur fonction. Cette rédaction de l’ANI de 2017 n’apporte aucune modification par rapport à la liste des bénéficiaires définie par les anciens articles 4 (cadres) et 4 bis (cadres assimilés) de la CCN du 14 mars 1947. Cela signifie que les catégories de bénéficiaires de cette obligation avant le 1er janvier 2019 demeurent les mêmes aujourd’hui.

Qu’en est-il des salariés définis par un accord collectif, notamment de branche, agréé par l’APEC[1], et qui peuvent être intégrés à la catégorie des cadres pour le bénéfice des garanties de prévoyance[2] ? Ces salariés, communément appelés aujourd’hui les « Intégrés APEC », étaient qualifiés de « article 36 » avant que la convention de 1947 soit annulée et remplacée au 1er janvier 2019. En principe, ces salariés qui ne sont pas expressément visés par l’ANI de 2017, ne bénéficient pas de l’obligation patronale qu’il édicte.

Toutefois, au plan du droit des charges sociales, le régime de prévoyance institué par une entreprise doit, pour bénéficier d’une exonération plafonnée de cotisations de sécurité sociale et éviter tout débat avec l’Urssaf, respecter certaines caractéristiques, dont particulièrement revêtir un caractère collectif, c’est-à-dire couvrir l’ensemble des salariés ou une catégorie objective d’entre eux[3]. À cet égard, l’accord de branche définissant les « Intégrés APEC », peut laisser la possibilité aux entreprises entrant dans son champ d’application de les inclure ou non dans la catégorie objective des « cadres » pour le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire[4]. Si l’accord définit les « Intégrés APEC » sans apporter de précision sur cette faculté pour les entreprises, ces dernières sont alors tenues de les inclure dans la catégorie objective des « cadres ». Aussi, si les Intégrés APEC sont assimilés à des cadres pour le bénéfice du régime de prévoyance, ces derniers vont en pratique profiter d’un régime respectant l’obligation prévue par l’ANI de 2017. À défaut, ces salariés sont considérés comme des non-cadres et n’y seraient donc pas éligibles.

  1. Montant de la cotisation

L’ANI de 2017 stipule que les employeurs s’engagent à verser une cotisation à leur charge exclusive égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixé pour les cotisations de sécurité sociale. Ce plafond est mentionné à l’article L. 241-3 du Code de la sécurité sociale. Il est réévalué chaque année et le plus souvent qualifié de « plafond annuel de la sécurité sociale » (PASS) ou « plafond mensuel de la sécurité sociale » (PMSS). Pour 2026, son montant a été fixé à 4 005 € pour le PMSS et donc à 48 060 € pour le PASS.

Cette tranche de rémunération inférieure à 4 005 € par mois en 2026 correspond au montant de la Tranche 1 dans le régime unifié de retraite complémentaire Agirc-Arrco, qui permet de déterminer l’assiette des cotisations de ce régime[5]. Avant la fusion de l’Agirc et de l’Arrco, les accords précédemment applicables, dont la convention du 14 mars 1947, qualifiaient cette assiette de Tranche A. C’est pour cette raison que cette obligation conventionnelle est plus couramment intitulée, par simplicité, l’obligation du « 1,5 % Tranche A » ou « 1,5 TA ». Cette appellation a été maintenue en pratique bien que la Tranche A soit désormais qualifiée de Tranche 1 par les textes.

Toutefois, en ce qui concerne les salariés bénéficiaires dont la rémunération brute est inférieure au plafond de la sécurité sociale, la cotisation de 1,5 % doit-elle être calculée sur la rémunération réelle des salariés, ou sur la base du plafond ? Bien qu’un débat ne puisse pas totalement être écarté, il est possible de considérer que l’assiette de la cotisation de 1,5 % n’est pas constituée, de façon forfaitaire, par le plafond de la sécurité sociale, mais par le salaire brut réel.

L’ANI de 2017 précise que cette contribution est à la charge exclusive de l’employeur, qui doit donc procéder seul à son financement. Autrement dit, l’employeur ne peut pas exiger et précompter une part salariale visant à cofinancer cette contribution.

Par ailleurs, il peut se poser la question de l’articulation de cette obligation de « 1,5 TA » prévue par l’ANI de 2017 avec celles prévues par d’autres accords, notamment ceux de branche. Ces derniers peuvent en effet imposer aux entreprises relevant de leur champ d’application des garanties de prévoyance et un taux de contribution les finançant. À cet égard, l’article L. 2252-1 du Code du travail prévoit qu’un accord de branche peut comporter des stipulations moins favorables aux salariés que celles d’un ANI, sauf si ce dernier « stipule expressément qu’on ne peut y déroger en tout ou partie ». Or, l’ANI de 2017 ne comporte aucune clause interdisant de déroger au taux de 1,5 % de la tranche A. Bien que cela puisse être sujet à débat, certaines branches s’appuient sur cette disposition du Code du travail pour permettre aux sociétés qu’elles représentent de verser une cotisation patronale inférieure à 1,5 % de la tranche A. C’est le cas de la convention collective de la métallurgie du 7 février 2022, qui prévoit à son article 166-2 qu’« en application de l’article L. 2252-1 du code du travail, l’article 1er de l’accord du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres n’est pas opposable aux entreprises de la branche ».

  1. Affectation de la cotisation

L’ANI de 2017 indique que cette contribution doit être versée à un organisme assureur (une institution de prévoyance, une mutuelle ou une société d’assurance). L’entreprise doit à ce titre conclure un contrat d’assurance avec l’un de ces organismes afin de couvrir ses cadres en contrepartie de cette cotisation.

L’accord précise alors que cette contribution « est affectée par priorité à la couverture d’avantages en cas de décès ». Une lettre du service juridique de l’Agirc du 26 août 1994 indique que « doit être consacrée à la couverture du risque décès, une cotisation de plus de 0,75 % de la tranche A ». Ainsi, les termes « par priorité » devraient être lu « au moins plus de la moitié », c’est à dire 0,76 %. Cette lettre ancienne, qui avait déjà une portée juridique limitée, concerne désormais un régime Agirc qui n’existe plus et remplacé par l’Agirc-Arrco. On pourrait donc s’interroger aujourd’hui sur la pertinence d’une telle ventilation. Toujours est-il que cette interprétation, en l’absence de contrindication ou de précision judiciaire explicite, continue de prévaloir en pratique.

Cet avantage en cas de décès doit respecter certaines caractéristiques :

  • tout bénéficiaire peut, quel que soit son âge, y prétendre, le montant de la prestation pouvant toutefois varier en fonction de l’âge atteint. Ces avantages sont maintenus en cas de maladie ou d’invalidité, jusqu’à liquidation de la retraite,
  • peuvent cependant être exclus de la couverture les décès résultant d’un fait de guerre ou d’un suicide volontaire et conscient survenant dans la première année de l’admission au régime de prévoyance.

Cela étant, à quelles autres garanties le taux de contribution restant (0,74 % au plus) doit-il être affecté ? L’intitulé de la clause de l’ANI de 2017, à savoir « avantages en matière de prévoyance », apporte une indication. S’agit-il toutefois exclusivement des garanties de prévoyance dite « lourde » (incapacité, invalidité et décès) ou les régimes de frais de santé sont-ils également concernés ?

La Cour de cassation s’est prononcée sur cette question en 2022[6]. Elle a constaté que les signataires de l’accord « n’excluaient [pas] les frais de santé des avantages de prévoyance financés par l’employeur, [de sorte que] pour vérifier si l’employeur respectait son obligation de cotiser en matière de prévoyance à hauteur de 1,50 % (…), il devait être tenu compte de la cotisation patronale versée pour le financement de la garantie frais de santé ».

Cette opportunité quant à la mise en œuvre du « 1,5 % Tranche A » doit toutefois être articulée avec la faculté pour les salariés de se dispenser d’adhérer à un régime de frais de santé dans plusieurs situations :

  • à leur initiative et sans que l’employeur ne puisse s’y opposer mais exclusivement à certains moments, tels que la date de l’embauche[7],
  • lorsqu’elles sont expressément prévues par l’acte de droit du travail instituant les garanties, en principe à tout moment sauf stipulation plus contraignante[8].

Dans l’hypothèse où un salarié use d’un cas de dispense, l’employeur qui s’appuie sur sa contribution au financement du régime frais de santé pour respecter son obligation pourrait finalement être en défaut.

La dispense des salariés cadres d’adhérer à un régime frais de santé n’étant pas totalement maitrisable par l’employeur, nous recommandons à nos clients de ne pas inclure la part patronale finançant la couverture santé dans le respect de l’obligation du « 1,5 % TA ».

  1. Sanctions en cas de manquement

L’ANI de 2017 prévoit que l’employeur qui, lors du décès d’un participant, ne justifie pas avoir souscrit un contrat comportant le versement d’une cotisation au moins égale à 1,5 % sur la TA, est tenu de verser aux ayants droit du cadre décédé une somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur lors du décès (soit 144 180 € en 2026). L’ANI précise que cette somme doit être versée en priorité au conjoint survivant non séparé de droit ou de fait, à défaut aux descendants ou à la succession.

Cette somme entre dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale[9].

Par ailleurs, dans un arrêt du 8 février 2024, la Cour d’appel de Douai[10] a considéré que les ayants droit pouvaient exiger de l’employeur, en plus de la somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale susmentionnée, la réparation de leur préjudice :

  • financier, correspondant aux sommes (capital décès et, le cas échéant, rente éducation) que les ayants droit auraient perçues si l’employeur avait régularisé sa carence,
  • moral, résultant notamment des difficultés de gestion du dossier d’assurance, des tracas judiciaires subis, et des difficultés financières rencontrées, se répercutant sur la vie et l’organisation familiale.

La Cour fait ainsi application du principe de la réparation intégrale des préjudices subis.

[1]      L’Association pour l’emploi des cadres, visée à l’article 3 de l’ANI du 17 novembre 2017
[2]      Article R. 242-1-1 du Code de la sécurité sociale
[3]      Article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale
[4]      Bulletin officiel de la sécurité sociale, rubrique protection sociale complémentaire (BOSS), § 1030
[5]      Article 32 de l’ANI du 17 novembre 2017 relatif au régime AGIRC-ARRCO de retraite complémentaire
[6]      Cass. soc, 30 mars 2022, n° 20-15.022
[7]      Article D. 911-2 du Code de la sécurité sociale
[8]      Article R. 242-1-6 du Code de la sécurité sociale
[9]      Cass. soc., 24 avril 1997, pourvoi n° 95-18.039
[10]    CA Douai, 8 février 2024, n° 22/03391