Le mot de François Collomp, médecin spécialiste en addictologie

10 janvier 2024

Entretien de Sébastien VAUMORON, Responsable prévention, avec le Dr. François COLLOMP, médecin généraliste spécialisé en addictologie à l’EPSM Georges DAUMEZON depuis 2019, et Responsable de l’unité d’hospitalisation de jour et à temps complet.

 

A partir de quand on peut parler d’addiction ?

Pour savoir où on en est vis-à-vis de sa consommation d’alcool, on peut se référer aux 11 critères de la dépendance (valable quel que soit le produit) que l’on trouve dans le DSM5, manuel statistique et diagnostic élaboré par les Américains. Mais c’est un peu fastidieux…

On peut alors déjà se poser cette question : suis-je resté raisonnable, ou pas… ?

Une définition simple de la dépendance qui tienne en une phrase serait que c’est « la perte de la liberté de s’abstenir ». Dans certaines situations on ne peut pas faire autrement, et cela sous-entend une notion de perte de contrôle.

J’ai eu le cas d’un jeune patient, arrivé en soin plus ou moins sous la contrainte (de la justice et de ses proches) et qui se revendiquait différent des autres patients du centre puisqu’il ne buvait pas tous les jours. Mais après discussion, il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas sortir le samedi faire la fête avec ses amis sans boire, et que quand il buvait il n’avait plus de limites dans sa consommation. Il était néanmoins devenu dépendant. La dépendance c’est donc la rencontre entre un produit, une personne et un moment.

Tous les consommateurs ne deviennent pas addicts, c’est l’accumulation de facteurs de vulnérabilité associés à des évènements de vie qui font basculer dans la dépendance : un jour, une personne a bu des boissons alcoolisées et elle a ressenti des effets positifs (détente, ivresse). Et son cerveau l’a mémorisé… Une autre fois elle est passé de l’état de bien-être à un état psychologique de bien-être plus bas, quel qu’en soit le motif, et à ce moment-là elle a aussi bu une boisson alcoolisée, et elle a temporairement retrouvé son bien-être. Là aussi le cerveau s’en est souvenu. Il y a eu un bénéfice à boire : ça a soulagé son mal-être. Ensuite, si elle a bu à chaque fois qu’elle se sentait mal, elle a fini par développer un conditionnement : boire soulage (mécanisme de renforcement) et donne envie de boire quand ça va mal à nouveau.

On peut dire que l’addiction vient quand le plaisir occasionnel convivial a été remplacé par un besoin quotidien solitaire.

 

Est-ce qu’il y a des addictions possibles sans consommer des produits comme l’alcool, le tabac, le cannabis etc.

Oui, tout à fait, on appelle ça les addictions comportementales ou sans produit. On peut être addict à la nourriture (boulimie) ou à son absence (anorexie), au sport, aux jeux vidéo, au sexe, et même au travail (le workaholisme). Tout est une question de limites. La plupart des patients que je rencontre sont comme les ordinateurs, ils ne connaissent que le langage binaire : soit ils ne font rien, soit ils y vont à fond. Mais dans les deux cas ce n’est pas raisonnable.

Ceci est dû à un phénomène qu’on appelle couramment l’accoutumance, et qu’on appelle de manière médicale la « tolérance ». C’est le fait que quand on consomme une substance psychoactive comme l’alcool, au bout d’un certain temps on s’habitue à la présence du produit dans le corps, et il ne fait plus autant d’effet qu’au début. Le corps tolère maintenant la substance. Alors pour avoir toujours les mêmes sensations, on doit augmenter la dose… C’est comme cela qu’on passe doucement, et sans s’en rendre compte, de l’usage simple à l’abus, avec une perte progressive du contrôle.

Avec les addictions sans produit le phénomène est identique, on devient dépendant à la récompense, à la sensation (là c’est le frisson de l’adrénaline et les endorphines qui sont impliquées), et il en faut toujours de plus en plus, continuant le comportement malgré les inconvénients qui apparaissent car la récompense est plus efficace que la « punition »…

 

Quand on pense aux addictions, on pense à la souffrance que cela peut produire. Mais si on prend par exemple le cas de l’alcool, est-ce qu’il n’y que la souffrance en jeu dans son addiction ?

Ce n’est pas tant une question de souffrance que de soulagement de celle-ci. Pour moi l’addiction vient quand le plaisir occasionnel convivial est remplacé par un besoin quotidien solitaire. L’addiction est associée à un trouble psychologique, parfois psychiatrique, et la consommation de la substance vient comme une tentative d’automédication face à ce trouble. Mais on ne fait que soulager temporairement les symptômes. En gros, et pour être très réducteur, on peut dire que la dépression et l’alcool, c’est un peu comme la poule et l’œuf : on ne sait pas bien qui a commencé, mais on sait que les deux sont là et qu’il faut les prendre en charge de manière concertée, en pluridisciplinarité, et de façon concomitante.

Ensuite, il faut comprendre qu’il y a un conditionnement dans la dépendance comportementale. Prenons l’exemple d’une souris dans une cage dans un laboratoire. Si je lui donne une dose d’eau sucrée à chaque fois qu’elle appuie sur une pédale, elle va le faire tout le temps car il y a une récompense à la clé (consommation de sucre). Ainsi, un comportement qui est renforcé devient chronique. Si j’enlève le sucre de l’eau, la souris va rapidement arrêter d’appuyer sur la pédale : un comportement qui n’est plus renforcé va avoir tendance à s’effacer. Si en plus de l’eau sucrée la souris reçois une punition comme une décharge électrique, elle va quand même appuyer sur sa pédale car le renforcement (eau sucrée) est plus efficace que la punition (décharge).

Renforcement et punition influent sur nos comportements automatiques, et ils peuvent être de deux sortes, positifs et négatifs : on enlève ou on rajoute quelque chose. Un renforcement positif est le plaisir à consommer (fête, convivialité), le renforcement négatif est le soulagement de souffrances (déprime, angoisse, troubles du sommeil, inhibition…). La punition positive est la douleur secondaire à la consommation (la gueule de bois le lendemain d’une ivresse par exemple), la punition négative est la perte de libertés à cause de la consommation (permis de conduire supprimé, perte d’emploi, perte d’argent, éloignement des proches…).

Il y a donc 2 types de déclencheurs à la consommation, par exemple, d’alcool : les déclencheurs positifs (pour faire comme les autres, soirées, fêtes…) et les déclencheurs négatifs (déprime, anxiété…). Donc il n’y a pas que de la souffrance en jeu, il y a aussi le plaisir, et la façon dont on se l’autorise…

 

Nos rendez-vous

Webinaire “Prévenir les addictions”

> Mardi 16 janvier

Café prévention : venez échanger en visio avec notre responsable prévention sur les sujets de votre choix

> Lundi 22 janvier

> Lundi 12 février

> Lundi 26 février